- 13 avril 2020
- Catégorie : Actualité générale
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE MELUN
N° 1701359 – 1704396
Mme X
M. Raguin Rapporteur
M. Zanella Rapporteur public
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le tribunal administratif de Melun (7ème chambre)
Audience du 5 février 2020
Lecture du 4 mars 2020
36-12-03-02
C
Vu les procédures suivantes :
I. Par une requête enregistrée le 17 février 2017 sous le numéro 1701359, Mme X, représentée par la SCP Arents Trennec, demande au tribunal :
1°) d’annuler la décision du 26 août 2016 par laquelle le coordonnateur du pôle ressources humaines, projet social et organisation des soins du centre hospitalier de Coulommiers a décidé de ne pas renouveler son contrat arrivant à terme le 30 novembre 2016 ;
2°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Coulommiers la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– la décision attaquée a été prise par une autorité incompétente faute pour le groupe hospitalier de rapporter la preuve d’une délégation régulière opposable aux tiers à la date de la décision attaquée ;
– elle a été prise à l’issue d’une procédure irrégulière dès lors qu’elle n’a pas été mise en mesure d’accéder à son dossier ;
– elle est fondée sur des appréciations inexactes qui ont été rapportées dans une note du 21 juin 2016 ;
– elle est entachée d’une erreur de droit, dès lors que le motif déterminant du non renouvellement est lié à la circonstance qu’elle était enceinte.
La requête a été communiquée le 3 mars 2017 au centre hospitalier de Coulommiers qui n’a pas produit de mémoire en défense malgré la mise en demeure de produire à quinze jours qui lui a été adressée le 8 novembre 2019 application de l’article R. 612-3 du code de justice administrative.
Une ordonnance du 8 novembre 2019 a fixé la clôture de l’instruction au 9 décembre 2019 en application des dispositions de l’article R. 613-1 du code de justice administrative.
II. Par une requête enregistrée le 1er juin 2017 sous le numéro 1704396, Mme X, représentée par la SCP Arents Trennec, doit être regardée comme demandant au tribunal :
1°) de condamner le centre hospitalier de Coulommiers à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices qu’elle estime avoir subis en raison du non renouvellement illégal de son contrat, assortie des intérêts et de leur capitalisation ;
2°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Coulommiers la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– la décision du 26 août 2016 par laquelle le centre hospitalier a refusé de renouveler son contrat est illégale dès lors qu’elle est entachée d’un défaut de motivation, d’un vice de procédure tiré de l’absence de possibilité de consultation de son dossier et d’une erreur de droit ;
– cette illégalité est constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Coulommiers ;
– son préjudice est constitué d’un préjudice moral, de troubles dans les conditions d’existence et d’un préjudice résultant d’une perte de chance de voir son contrat renouvelé ;
– elle évalue ces préjudices à une somme globale de 30 000 euros.
La requête a été communiquée le 9 juin 2017 au centre hospitalier de Coulommiers qui n’a pas produit malgré la mise en demeure de produire à quinze jours qui lui a été adressée le 8 novembre 2019 application de l’article R. 612-3 du code de justice administrative.
Une ordonnance du 8 novembre 2019 a fixé la clôture de l’instruction au 9 décembre 2019 en application des dispositions de l’article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier. Vu :
– la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
– le décret n° 77-812 ;
– le décret n° 88-386 ;
– le décret n° 97-487 ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Raguin,
– et les conclusions de M. Zanella, rapporteur public. Considérant ce qui suit :
1. Mme X, a été recrutée le 19 janvier 2015 en contrat à durée déterminée par le centre hospitalier de Coulommiers pour y exercer les fonctions d’aide-soignante. Son contrat a été renouvelé à plusieurs reprise pour des périodes de six mois jusqu’au 30 novembre 2016. Par une décision du 26 août 2016, le coordonnateur du pôle ressources humaines, projet social et organisation des soins du centre hospitalier de Coulommiers a décidé de ne pas renouveler son contrat arrivant à terme au 30 novembre 2016. Par les requêtes susvisées, Mme X demande au tribunal, d’une part, d’annuler cette décision de non renouvellement de son contrat, d’autre part, de condamner le centre hospitalier de Coulommiers à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices qu’elle estime avoir subis en raison de l’illégalité de cette décision portant licenciement pour inaptitude définitive.
2. Les requêtes susvisées n° 1701359 et n° 1704396, présentées pour Mme X, concernent la situation d’un même agent et ont fait l’objet d’une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul jugement.
Sur l’acquiescement aux faits :
3. Aux termes de l’article R. 612-6 du code de justice administrative : « Si, malgré une mise en demeure, la partie défenderesse n’a produit aucun mémoire, elle est réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans les mémoires du requérant ». Il résulte de ces dispositions que l’acquiescement aux faits prévu à l’article R. 612-6 est acquis lorsque, comme en l’espèce, le délai imparti à l’administration a expiré et que la date de clôture de l’instruction fixée par ordonnance est échue sans que l’administration ait présenté d’observations. Cette circonstance ne saurait dispenser le juge, d’une part, de vérifier que les faits allégués par le demandeur ne sont pas contredits par les autres pièces versées au dossier, d’autre part, de se prononcer sur les moyens de droit que soulève l’affaire.
Sur les conclusions à fin d’annulation :
4. En premier lieu, la décision contestée est signée par M. Eric Roussel, coordonnateur du pôle ressources humaines, projet social et organisation des soins du groupe hospitalier de l’Est francilien regroupant les centres hospitaliers de Marne-la-Vallée, Meaux et Coulommiers, auquel le directeur commun de ces établissements, M. Jean-Christophe Phelep, avait donné délégation, par une décision du 21 septembre 2015 régulièrement publiée le 15 octobre suivant au recueil des actes administratifs de la préfecture de Seine-et-Marne, à l’effet de signer notamment, en son absence ou en cas d’empêchement de sa part, les « actes et décisions concernant la gestion des personnels non médicaux », y compris donc les aides-soignants titulaires et contractuels. Il n’est ni établi ni même allégué que le directeur n’aurait pas été absent ou empêché lors de la signature de la décision litigieuse. Par suite, le moyen tiré de l’incompétence de l’auteur de l’acte doit être écarté.
5. En deuxième lieu, un agent dont le contrat est arrivé à échéance n’a aucun droit au renouvellement de celui-ci. Il en résulte qu’alors même que la décision de ne pas renouveler ce contrat est fondée sur l’appréciation portée par l’autorité compétente sur l’aptitude professionnelle de l’agent et, de manière générale, sur sa manière de servir et se trouve ainsi prise en considération de la personne, elle n’est – sauf à revêtir le caractère d’une mesure disciplinaire – pas au nombre des mesures qui ne peuvent légalement intervenir sans que l’intéressé ait été mis à même de prendre connaissance de son dossier.
6. Il ne ressort d’aucune pièce du dossier, l’intéressée ne l’allèguant d’ailleurs pas, que le motif du non renouvellement du contrat de celle-ci reposerait sur des faits susceptibles de donner lieu à une sanction disciplinaire. La seule production de la décision attaquée ne peut être regardée comme révélant une intention du centre hospitalier de sanctionner la requérante Ainsi, à défaut de revêtir un caractère disciplinaire, la décision attaquée n’avait pas à être prise après que l’intéressée eut été mis à même de consulter son dossier administratif.
7. En troisième lieu, si la requérante soutient que les appréciations rapportées dans une note du 21 juin 2016 seraient inexactes et ne pourraient, dès lors, fonder la décision de non renouvellement contestée, il ne ressort toutefois d’aucun des termes de cette décision qu’elle se fonderait sur une telle note, que la requérante ne produit d’ailleurs pas à l’instance. Par suite, le moyen ne peut qu’être écarté.
8. En dernier lieu, un agent public qui a été recruté par un contrat à durée déterminée ne bénéficie ni d’un droit au renouvellement de son contrat ni, à plus forte raison, d’un droit au maintien de ses clauses si l’administration envisage de procéder à son renouvellement. Toutefois, l’administration ne peut légalement décider, au terme de son contrat, de ne pas le renouveler ou de proposer à l’agent, sans son accord, un nouveau contrat substantiellement différent du précédent, que pour un motif tiré de l’intérêt du service.
9. La requérante, en soutenant que la décision en litige a été prise pour un motif ne se rattachant pas à l’intérêt du service, doit être regardée comme invoquant un moyen tiré de l’erreur de droit et non du détournement de pouvoir. Si Mme X ne tenait d’aucun texte un droit au renouvellement de son contrat, il appartenait toutefois au directeur du groupe hospitalier d’examiner sa demande en prenant en considération l’intérêt du service ainsi que la situation particulière de l’intéressée. Mme X soutient, sans être contredite par le défendeur qui est réputé avoir acquiescé aux faits exposés par la requérante en application du principe rappelé au point 3, que le motif principal du non renouvellement de son contrat est liée à son état de grossesse annoncé avant la signature de la décision litigieuse le 26 août 2016. En se fondant sur un tel motif, le groupe hospitalier ne s’est pas fondé sur un motif tiré de l’intérêt du service et a commis une erreur de droit.
10. Il résulte de ce qui précède que Mme X est fondée à demander l’annulation de la décision du 26 août 2016 par laquelle le groupe hospitalier de l’Est francilien a refusé de renouveler son contrat arrivant à terme le 30 novembre 2016.
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne la responsabilité du groupe hospitalier :
11. Si toute illégalité constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’administration, une telle faute ne peut donner lieu à réparation du préjudice subi que si ce préjudice est en lien direct avec la faute commise.
12. En l’espèce, ainsi qu’il a été exposé au point 9 du présent jugement, la décision portant non renouvellement du contrat de Mme X de son poste d’aide-soignante, en date du 26 août 2016, a été prise au motif illégal de l’annonce de son état de grossesse. L’illégalité fautive ainsi constatée est de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Coulommiers et à ouvrir droit à réparation à Mme X si elle est à l’origine d’un préjudice direct et certain subi par celle-ci.
En ce qui concerne les préjudices :
13. Il résulte de l’instruction que du fait du non renouvellement de son contrat fondé sur le motif de l’annonce de sa grossesse, Mme X a subi un préjudice moral et des troubles dans ses conditions d’existence, ainsi qu’une perte de chance de se voir renouveler son contrat y compris dans des termes différents de ceux des précédents contrats conclus. Il sera fait une juste appréciation de l’indemnisation due au titre de l’ensemble de ces préjudices en la fixant à la somme de 3 000 euros.
Sur les intérêts et leur capitalisation :
14. Mme X a droit aux intérêts au taux légal correspondant à l’indemnité de 3 000 euros à compter du 15 mars 2017, date de réception de sa demande par le centre hospitalier de Coulommiers.
15. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d’une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu’à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée le 1er juin 2017. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 15 mars 2018, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d’intérêts, ainsi qu’à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les frais d’instance :
16. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Coulommiers une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme X et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La décision du 26 août 2016 portant non renouvellement du contrat de Mme X est annulée.
Article 2 : Le centre hospitalier de Coulommiers est condamné à verser à Mme X une somme de 3 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 15 mars 2017. Les intérêts échus à la date du 15 mars 2018 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le centre hospitalier de Coulommiers versera la somme de 1 500 euros à Mme X en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à Mme X et au centre hospitalier de Coulommiers.
Délibéré après l’audience du 6 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
M. Rohmer, président,
M. Raguin, conseiller, Mme Pilidjian, conseiller.
Lu en audience publique le 4 mars 2020.
Le rapporteur,
V. RAGUIN
Le président,
B. ROHMER
La greffière,
L. DARNAL
La République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé en ce qui la concerne ou à tous les huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme, La greffière,