Jugement du tribunal administratif de Paris indemnisant le fonctionnaire de police non promu

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PARIS
M. Aggiouri, Rapporteur public
Le magistrat désigné,

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
M. S
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
M. Braud, Magistrat désigné
Le Tribunal administratif de Paris
Audience du 20 juin 2013 Lecture du 4 juillet 2013
36-06-02-01 36-06-02 -01-01 54-05-05
C
Vu la requête, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Montreuil le 25 janvier 2012, puis suite à sa transmission conformément à l’ordonnance du président de ce tribunal en date du 1er février 2012, au greffe du Tribunal le 4 février 2012, présentée pour M. L, demeurant 16 avenue Foch à Meaux (77100), par Me Trennec; M. L demande que le tribunal :
-annule l’arrêté du 30 décembre 2011 relatif au tableau d’avancement au grade de brigadier de police pour l’année 2012 et les nominations de M. A et de M. F au grade de brigadier avec toutes conséquences de droit;
– enjoigne au ministre de l’intérieur de procéder à la réfection du tableau d’avancement au grade de brigadier de police pour l’année 2012, dans les deux mois à compter du jugement à intervenir sous astreinte de 500 euros par jour de retard;
– condamne l’Etat à lui payer la somme de 20000 euros avec intérêts et capitalisation des intérêts et celle de 3000 euros au titre de l’article L 761-1 du code de justice administrative;
M. L soutient :
– que le tableau en cause est irrégulier, dès lors que ses deux collègues n’ont pas été retenus par la commission administrative paritaire interdépartementale; qu’ils avaient une ancienneté
inférieure à la sienne dans la réussite à l’examen professionnel; que M. R était moins bien noté que lui;
– qu’il n’a pas été fait un examen approfondi de la valeur respective des intéressés et le principe d’égalité des fonctionnaires appartenant à un même corps a été violé ;
– qu ‘ila été fait une erreur manifeste dans l’appréciation de ses mérites ;
– que sa non inscription au tableau d’avancement est entachée d’illégalité fautive;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 27 février 2013, présenté par le ministre de l’intérieur et tendant au rejet de la requête et à la condamnation de M. L à payer la somme de 800 euros au titre de l’article L 761-1 du code de justice administrative;
Le ministre soutient:
– à titre principal, que la requête est irrecevable, faute d’avoir été accompagnée de la copie du tableau contesté et compte tenu de l’impossibilité pour le juge administratif d’adresser des injonctions à l’administration;
– à titre subsidiaire, que la commission administrative paritaire nationale compétente qui n’est pas tenue par les propositions des commissions administratives paritaires locales, a procédé à l’examen de l’ensemble des dossiers des gardiens de la paix réunissant les conditions pour être promus; que la seule circonstance qu’un fonctionnaire réunisse les conditions pour être promu ne lui confère pas un droit automatique à l’avancement; que les notations ne sont pas le seul critère à prendre en considération; que l’administration n’a pas commis de faute; que le préjudice invoqué n’est pas certain ;
Vu les autres pièces du dossier;
Vu, en application de l’article R.222-13 du code de justice administrative, la décision par laquelle le président du tribunal a désigné M. Braud pour statuer sur les litiges visés audit article ;
Vu l’ordonnance en date du 21 janvier 2013 ayant fixé la clôture d’instruction au 28 février 2013 et celle du4 mars 2013 ayant rouvert l’instruction et l’ayant à nouveau clôturée au4 avril 2013 à 16 heures 30, en application des articles R. 613-1 et R. 613-4 du code de justice administrative;
Vu la loi n° 84-16 du Il janvier 1984 ;
Vu le code de justice administrative;
Les parties ayant été régulièrement convoquées à l’audience ;
Après avoir au cours de l’audience publique du 20 juin 2013, présenté son rapport et entendu les conclusions de M. Aggiouri, rapporteur public, ainsi que les observations de M. L, le ministre de l’intérieur n’ayant pas été présent, ni représenté;

Sur les conclusions à fin d’annulation:
De l’arrêté du 30 décembre 2011 ayant approuvé le tableau d’avancement au grade de brigadier de police pour l’année 2012 :
1. Considérant que par jugement n° 1220743 du 14 février 2013, devenu définitif, le Tribunal a annulé l’arrêté du 30 novembre 2011 ; que, par suite, les conclusions tendant à son annulation sont devenues sans objet.
Des nominations de M. N et de M. R au grade de brigadier:
2. Considérant qu’aux termes de l’article 58 de la loi du Il janvier 1984 susvisée, dans sa rédaction en vigueur à la date des décisions attaquées: «L’avancement de grade a lieu de façon continue d’un grade au grade immédiatement supérieur. n peut être dérogé à cette règle dans les cas où l’avancement est subordonné à une sélection professionnelle. / L’avancement de grade peut être subordonné à la justification d’une durée minimale de formation professionnelle au cours de la carrière. / Sauf pour les emplois laissés à la décision du Gouvernement, l’avancement de grade a lieu, selon les proportions définies par les statuts particuliers, suivant l’une ou plusieurs des modalités ci-après: / 10 Soit au choix, par voie d’inscription à un tableau annuel d’avancement, établi après avis de la commission administrative paritaire, par appréciation de la valeur professionnelle et des acquis de l’expérience professionnelle des agents; / 2° Soit par voie d’inscription à un tableau annuel d’avancement, établi après avis de la commission administrative paritaire, après une sélection par voie d’examen professionnel. / Les statuts particuliers peuvent prévoir que le jury complète son appréciation résultant des épreuves de l’examen par la consultation du dossier individuel de tous les candidats; (..) / Les promotions doivent avoir lieu dans l’ordre du tableau (..) » ; qu’il suit de ces dispositions que du fait de l’annulation du tableau d’avancement litigieux, MM. N et R ne pouvaient être légalement promus au grade de brigadier; que, par suite, M. L est fondé à obtenir l’annulation de leur nomination au grade de brigadier de police;

Sur les conclusions à fin d’injonction:

3. Considérant, d’une part, que si le jugement n° 1220743 du 14 février 2013 a annulé l’arrêté du ministre de l’intérieur du 30 décembre 2011 établissant le tableau d’avancement pour 2012 au grade de brigadier de police, cette autorité ne pouvait légalement rapporter les nominations prononcées sur le fondement de cet arrêté, décisions créatrices de droits, après l’expiration d’un délai de quatre mois, dès lors que ces nominations n’auraient pas été contestées devant le juge administratif dans le délai du recours contentieux; que, d’autre part, si M. Lhotel a bien contesté la promotion de MM. N ativel et R dans le délai du recours contentieux, l’autorité compétente pour accorder un avancement au choix n’est pas tenue de prononcer toutes les promotions que l’existence de vacances pourrait lui permettre d’accorder, ni, par suite, d’inscrire à un tableau d’avancement le nombre de fonctionnaires pouvant être promus au grade supérieur ; qu’il en résulte que l’exécution de la chose jugée le 14 février 2013 n’implique pas que le ministre établisse un nouveau tableau d’avancement; que, par suite, en application des dispositions des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative, les conclusions à fin d’injonction de la présente requête ne peuvent être accueillies ;

Sur les conclusions à fin d’indemnisation:

4. Considérant que l’illégalité du tableau d’avancement pour 2012 au grade de brigadier de police est constitutive d’une faute engageant la responsabilité de l’administration; qu’il résulte de l’examen comparé des dossiers du requérant et de MM. N et R qu’ils ont servi dans les mêmes services; que M. L qui avait 28 ans et demi au 30 décembre 2011, a eu depuis 2008 la même note chiffrée que M. N, âgé d’un peu plus de 32 ans, et une ancienneté de services dans la police sensiblement équivalente; que, dans ces conditions, le tableau annulé ne révélait aucune erreur manifeste d’appréciation; qu’en revanche, bien que plus jeune que M.. R de plus dedeux ans, M.. L qui a deux ans d’ancienneté de plus que son collègue, a eu de 2008 à 20 Il des notes chiffrées supérieures d’un point à celles de son collègue; qu’alors que tous deux ont vu leur aptitudes de 2009 à 20 Il, seules notations produites par l’autorité ministérielle, appréciées dans les fonctions d’ordre public, de patrouille de surVeillance, de voie publique et de recherche de la délinquance~; les éléments d’appréciation de M. L ont tous été considérés comme très bons pendant ces trois années, à l’exception, en 2009, de trois éléments, à savoir «jugement-faculté d’adaptation-curiosité », « éducation-relationnel-présentation »et« connaissances professio~nnelles de la fonction/grade », considérés comme bons, tandis qu’en ce qui concerne M. R, un seul élément était classé très bon en 2009, les autres étant jugés bons, quatre en 2010 pour dix bons, et huit en 2011 pour six bons; que les appréciations littérales de ces deux fonctionnaires étaient également élogieuses et le ministre de l’intérieur ne saurait expliquer son choix de M.. R par la seule mention dans les appréciations de M. L, selon laquelle il devait persévérer, que le ministre de l’intérieur paraît considérer comme une réserve alors que cette même mention figurait aussi dans les appréciations littérales de M. R en 2011 ; que, dans ces conditions, la perte de chance sérieuse qu’a subi M. L du fait de l’illégalité fautive de l’arrêté du 30 décembre 2011 à raison de l’erreur manifeste d’appréciation qu’il comportait en ce qu’il y avait inscrit M.. R, est en relation directe de cause à effet; qu’en l’espèce, il sera fait une exacte appréciation du préjudice qu’il a subi du fait de cette perte de chance en condamnant l’Etat à lui payer la somme de 3000 euros, y compris tous intérêts au jour de la présente décision;

Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative:

5. Considérant qu’aux termes de l’article L 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les .dépens. Le juge tien:! compte de l’équité ou de la situa(ion écono.mique de la.partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il nya pas lieu à cette condamnation» ;
6. Considérant que ces dispositions s’opposent à la prise en charge par M.L qui n’est pas partie perdante pour l’essentiel à l’instance, des frais non compris dans les dépens que l’Etat a pu y supporter; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu d’allouer à M. L, à la charge de l’Etat, partie perdante pour l’essentiel à l’instance, la somme de 1000 euros au titre des frais non compris dans les dépens qu’il a pu y supporter;

DECIDE:
Article 1 er : Il n ‘y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d’annulation de l’arrêté du 30 décembre 2011 relatif au tableau d’avancement au grade de brigadier de police pour l’année 2012.
Article 2 : Les nominations de MM. N et R au grade de brigadier de police sont annulées.
Article 3 : L’Etat est condamné à payer à M. L la somme de 3000€.
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(3000) euros qui portera intérêts au taux légal à compter du jour de la présente décision.
Article 4 : Il est alloué à M. Stéphane L, à la charge de l’Etat, la somme de mille (1000) euros au titre de l’article L 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : Le présent jugement sera notifié à M. Stéphane L, au ministre de l’intérieur , à M. Alexandre N et à M.. R.
Lu en audience publique le 4 juillet 2013,
Le magistrat désigné,
Le greffier,

A. LEMIEUX
La République mandé et ordonne au ministre de l’intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.