Annulation de la promotion de deux syndicalistes policiers par le tribunal administratif de Paris

 

Tribunal administratif de Paris, 14 mars 2019, n° 1708101/5-2

 

Sur la décision                                                                                                                                                                                                                                                

Référence : TA Paris, 14 mars 2019, n° 1708101/5-2 Juridiction : Tribunal administratif de Paris

Numéro : 1708101/5-2

 

 

Texte intégral                                                                                                                                                                                                                                                


 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PARIS N°1708101/5-2 RÉPUBLIQUE FRANÇAISE […]

  1. K E […] AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
  2. A Rapporteur _[…]

Mme X (5e Section – 2e Chambre) Rapporteur public […] Audience du 21 février 2019 Lecture du 14 mars […]

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le  12  mai  2017,  le 13 décembre 2017, le 26 janvier 2018 et le 2 mars 2018, M. K E, représenté par le cabinet d’avocats Arents Trennec, demande au tribunal :

1°) d’annuler l’arrêté du 30 mai 2017 par lequel le ministre de l’intérieur a approuvé le tableau d’avancement au grade de major de la police nationale au titre de l’année 2017 ;

2°) d’annuler les arrêtés individuels de promotion de MM. L B, M D, N G, O Y, P Z, O I et L J et de Mmes Q C et R H au grade de major de police ;

3°) d’enjoindre au ministre de l’intérieur d’arrêter un nouveau tableau d’avancement au grade de major au titre de l’année 2017, dans un délai de deux mois sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

  • le tableau d’avancement au grade de major pour l’année 2017 est entaché d’un vice de procédure en l’absence d’examen approfondi de la valeur professionnelle de l’ensemble des candidats ; N°1708101/5-2 2
  • les décisions contestées sont entachées d’une erreur manifeste d’appréciation dès lors que son ancienneté et ses mérites sont supérieurs à ceux des fonctionnaires promus ; – les décisions contestées ont été prises en violation du principe d’égalité de

Par un mémoire enregistré le 1er décembre 2017, le ministre de l’intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

  • la requête est irrecevable en l’absence de production des décisions attaquées ; – les moyens ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 23 février 2018, M. Y conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 20 mars 2018, M. Z, représenté par Me Brocheton, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

  • la requête est irrecevable étant prématurée et la régularisation intervenue le 2 mars 2008 par la production de l’arrêté attaqué était tardive ; – les moyens ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu : – la  loi  n°84-16  du  11  janvier  1984 ; – la  loi  n°  83-634  du 13 juillet 1983 ; – le décret n° 82-447 du 28 mai 1982 ; – le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience. Ont été entendus au cours de l’audience publique : – le rapport de

  1. A ; – les conclusions de Mme X, rapporteur public. – les observations de M. B, de Mme C, de M. Y, de M. Z et de M. D. Considérant ce qui suit :
  2. E, brigadier-chef de la police nationale affecté à la brigade des réseaux franciliens, n’a pas été inscrit au tableau d’avancement au grade de major au titre de l’année 2017, arrêté le 30 mai 2017 par le ministre de l’intérieur. Par la présente requête, il demande l’annulation de l’arrêté du 30 mai 2017 ainsi que des arrêtés de nomination de

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  1. L B, M D, N G, O Y, P Z, O I et L J et de Mmes Q C et R H au grade de major de police.

Sur les fins de non-recevoir :

  1. En premier lieu, aux termes de l’article 412-1 du code de justice administrative : « La requête doit à peine d’irrecevabilité être accompagnée, sauf impossibilité justifiée, de l’acte attaqué, ou, dans le cas mentionné à l’article R. 421-2, de la pièce justifiant de la date du  dépôt  de  la  réclamation. »  M.  E  a  produit  l’arrêté  du  30 mai 2017 relatif au tableau d’avancement au grade de major de police au titre de l’année 2017 ainsi que les arrêtés de nomination des neuf fonctionnaires mis en cause. Dès lors, la fin de non- recevoir opposée par le ministre de l’intérieur doit être écartée.
  2. En deuxième lieu, Z fait valoir que la requête de M. E, introduite le 12 mai 2017, est prématurée dès lors que l’arrêté attaqué date du 30 mai 2017 et que les décisions de nominations querellées sont postérieures à ce dernier. Cependant, l’irrecevabilité des conclusions de la requête peut être couverte en cours d’instance par l’intervention de la décision, prématurément attaquée, entre l’introduction de l’instance et le jugement du litige. Dès lors, la fin de non-recevoir opposée par M. Z doit être écartée.
  3. En troisième lieu, Z fait valoir que l’arrêté du 30 mai 2017, publié au bulletin officiel du ministère de l’intérieur le

 

15 juillet 2017, ne pouvait être produit par voie de régularisation que dans les deux mois à compter de sa publication. Cependant, il  est   constant   que   la   requête   de   M.   E   a   été   introduite    le 12 mai 2017 et le délai de deux mois prévu par les dispositions de l’article R. 421-1 du code de justice administrative s’applique au recours formé contre une décision et non à la régularisation d’une requête formée dans les délais. Il s’ensuit que la fin de non-recevoir opposée par M. Z doit être écartée.

Sur les conclusions à fin d’annulation du tableau d’avancement :

  1. En premier lieu, aux termes de l’article 58 de la loi n° 84-16 du

11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat : « L’avancement de grade a lieu de façon continue d’un grade au grade immédiatement supérieur. Il peut être dérogé à cette règle dans les cas où l’avancement est subordonné à une sélection professionnelle. (…) Sauf pour les emplois laissés à la décision du Gouvernement, l’avancement de grade a lieu, selon les proportions définies par les statuts particuliers, suivant l’une ou plusieurs des modalités ci- après : 1° Soit au choix, par voie d’inscription à un tableau annuel d’avancement, établi après avis de la commission administrative paritaire, par appréciation de la valeur professionnelle et des acquis de l’expérience professionnelle des agents ,· 2° Soit par voie d’inscription à un tableau annuel d’avancement, établi après avis de la commission administrative paritaire, après une sélection par voie d’examen professionnel. (…) Les promotions doivent avoir lieu dans l’ordre du tableau ou de la liste de  classement. (…) ». Aux termes de  l’article 17 du  décret  du

9 mai 1995 : « Pour l’établissement du tableau d’avancement de grade qui est soumis à l’avis des commissions administratives paritaires, il est procédé à un examen approfondi de la valeur professionnelle des agents susceptibles d’être promus compte tenu des notes obtenues par les intéressés, des propositions motivées formulées par les chefs de service et de l’appréciation portée sur leur manière de servir. Cette appréciation prend en compte les difficultés des emplois occupés et les responsabilités particulières qui s’y attachent ainsi que, le cas échéant, les actions de formation continue suivies ou dispensées par le fonctionnaire et l’ancienneté ». Aux   termes  de   l’article  18  du   décret  du   23   décembre   2004   :

« Peuvent être inscrits au tableau d’avancement pour l’accès au grade de major de police : 1. Après avoir satisfait aux obligations d’un examen

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des capacités professionnelles dont le contenu et les modalités sont fixés par arrêté du ministre de l’intérieur et du ministre  chargé de la fonction publique: 1-1. Les brigadiers-chefs de police qui, au 1er janvier de l’année pour laquelle le tableau d’avancement a été arrêté, comptent dix- sept ans au moins de services effectifs depuis leur titularisation dans le corps, dont quatre ans au moins dans leur grade ; (…) 2. Dans la limite du douzième de l’ensemble des promotions de grade de l’année à réaliser au titre du  présent article, les brigadiers-chefs de police qui, au 1er janvier de l’année pour laquelle le tableau d’avancement a été arrêté, comptent vingt ans de services effectifs depuis leur titularisation dans le  corps, dont huit ans dans le grade de brigadier-chef ».

  1. Il résulte des dispositions précitées que l’inscription au tableau d’avancement au grade de major de la police nationale a lieu au choix et que le tableau d’avancement au titre de l’année 2017 ne pouvait comporter qu’un nombre limité de Dès lors, la valeur professionnelle de M. E ne peut être appréciée, aux fins d’inscription sur ce tableau d’avancement, que par comparaison avec celle des autres agents remplissant les conditions statutaires pour prétendre au même avancement. Lorsqu’il est saisi d’un recours tendant à l’annulation d’un arrêté portant inscription à un tableau d’avancement, il appartient au juge de l’excès de pouvoir, qui ne saurait se borner, dans le cadre de son contrôle restreint, à apprécier la valeur professionnelle d’un candidat écarté, d’analyser les mérites comparés de cet agent et de ceux des autres agents candidats à ce même grade.
  2. E soutient que figurent sur le tableau d’avancement au grade de major plusieurs fonctionnaires qui sont moins bien classés que lui

et qui bénéficient d’une moindre ancienneté. Cependant, d’une part, le requérant n’est fondé à comparer ses mérites ni à ceux  de  M. Z et Y, qui n’étaient pas placés dans la même situation que lui, bénéficiant d’une décharge totale d’activité pour des mandats syndicaux, ni à ceux de M. F,  dont la candidature relevait du paragraphe 1.1 de l’article 18 précité. D’autre part, il ressort des pièces du dossier que les autres fonctionnaires mis en cause justifiaient soit de meilleures notations que le requérant, soit d’une ancienneté plus importante dans le corps ou dans le grade. Il s’ensuit que le moyen tiré de l’erreur manifeste dans l’appréciation des mérites comparés des candidats à l’avancement doit être écarté.

  1. En second lieu, toutefois, aux termes de l’article 59 de la loi du

11 janvier 1984 : « L’avancement des fonctionnaires bénéficiant, pour l’exercice de mandats syndicaux, d’une décharge d’activité de service accordée pour une quotité minimale de temps a lieu sur la base de l’avancement moyen des fonctionnaires du corps auquel les intéressés appartiennent. Un décret en Conseil d’Etat détermine les modalités d’application du présent article ». Aux termes de l’article 19 du décret du 28 mai 1982 : « Les droits en matière d’avancement d’un fonctionnaire bénéficiaire d’une décharge totale d’activité pour l’exercice d’un mandat syndical sont appréciés, durant la période où l’intéressé demeure dans cette situation, par référence à ceux d’un membre du même corps ayant à la date de l’octroi de la décharge d’activité une situation équivalente à celle de 1’intéressé et ayant bénéficié d’un avancement moyen depuis cette date ».

  1. Ces dispositions consacrent un droit à l’avancement pour un fonctionnaire bénéficiant d’une décharge totale d’activité pour l’exercice d’un mandat syndical qui est déterminé, chaque année, par référence à l’avancement moyen des fonctionnaires du corps auquel il appartient. Cet avancement moyen est apprécié en calculant la moyenne de l’ancienneté des agents qui détiennent le même grade ou classe dans le corps auquel appartient le fonctionnaire déchargé de service et qui ont été promus au grade d’avancement au titre du ou des précédents

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  1. Il ressort des pièces du dossier que Z et M. Y, fonctionnaires placés en décharge d’activité pour l’exercice de leur mandat syndical, ont été promus au grade de major de la police nationale avec une ancienneté inférieure à 4 ans pour le premier et inférieure à 5 ans pour le second. L’ancienneté moyenne dans le grade de brigadier-chef au titre du précédent tableau d’avancement était pourtant de 10 ans et 10 mois. Dès lors, M. E est fondé à soutenir que l’arrêté du 30 mai 2017 relatif au tableau d’avancement au grade de major de police, lequel ne pouvait comporter qu’un nombre limité de fonctionnaires, a été pris en violation des dispositions précitées. Il s’ensuit que l’arrêté du 30 mai 2017 doit être annulé, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête. Sur les conclusions à fin d’annulation des arrêtés individuels de nomination des policiers promus :
  2. Il résulte de ce qui précède que les arrêtés individuels de promotion et de nomination de Y, de M. Z, de M. B, de Mme C, de
  3. D, de M. G, de Mme H, de M. I et de M. J, qui n’auraient légalement pas pu   être   pris   en   l’absence   de   l’arrêté   du 30 mai 2017 annulé par le présent jugement, doivent être annulés par voie de conséquence.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

  1. L’annulation du tableau d’avancement au grade de major au titre de l’année 2017 implique seulement que le ministre de l’intérieur procède au réexamen de la candidature de E et des fonctionnaires dont les arrêtés de promotion et de nomination ont été annulés, dans un délai qu’il convient de fixer à trois mois à compter de la notification du présent jugement. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

  1. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par E et non compris dans les dépens.

 

DECIDE:

Article 1er : L’arrêté du ministre de l’intérieur du 30 mai 2017 est annulé.

Article  2 : Les arrêtés de  promotion et  de  nomination  de  M.  Y,  de

  1. Z, de M. B, de Mme C, de M. D, de M. G, de Mme H, de M. I et de
  2. J sont annulés.

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l’intérieur de réexaminer les candidatures de M. E, de M. Z, de M. B, de Mme C, de M. D, de M. G, de Mme H, de M. I et de M. J au grade de major au titre de l’année 2017, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté. N°1708101/5-2 6

Article 5 : L’Etat versera la somme de 1 500 euros à M. E au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

Article 6 : Le présent jugement sera notifié à M. K E, au ministre de l’intérieur, à MM. L B, M D, N G, O Y, P Z, O I et L  J et à Mmes  Q C  et R H.

Délibéré après l’audience du 21 février 2019, à laquelle siégeaient :

  1. Mendras, président, M. A, conseiller, Mme Nguyen, conseiller, Lu en audience publique le 14 mars 2019.

Le rapporteur, Le président,

  1. A A. MENDRAS Le greffier,
  2. PORRINAS

La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent jugement.